Une interview de Victor Hugo !

ENTRETIEN AVEC VICTOR HUGO


Monsieur Hugo, vous semblez vous tenir  très informé de l'actualité politique française. Quel regard portez-vous sur notre  nouveau président ?

Victor Hugo : Depuis des mois,  il s'étale ; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals,  dansé, régné, paradé et fait la roue… Il a réussi. Il en résulte que les  apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une  chose me frappe pourtant, c'est que dans toutes les qualités qu'on lui  reconnaît, dans tous les éloges qu'on lui adresse, il n'y a pas un mot qui  sorte de ceci : habilité, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement  préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien  prises. Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment  tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ;  ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à  tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète.


Derrière cette folle  ambition personnelle décelez-vous une vision politique de la France, telle  qu'on est en droit de l'attendre d'un élu à la magistrature suprême ?

Victor Hugo : Non, cet homme ne  raisonne pas ; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu'il les  satisfasse. Ce sont des envies de dictateur. La toute-puissance serait fade si on ne l'assaisonnait de cette façon. Quand on mesure l'homme et qu'on le  trouve si petit, et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve si  énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve quelque surprise. On se  demande : comment a-t-il fait ? On décompose l'aventure et l'aventurier… On ne  trouve au fond de l'homme et de son procédé que deux choses : la ruse et  l'argent…Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre ; il n'est plus  question d'être un grand peuple, d'être un puissant peuple, d'être une nation  libre, d'être un foyer lumineux ; la France n'y voit plus clair. Voilà un  succès.

 
Que penser  de cette fascination pour les hommes d'affaires, ses proches ? Cette volonté  de mener le pays comme on mène une grande entreprise ?

Victor  Hugo : Il a pour lui désormais l'argent, l'agio, la  banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent  si facilement d'un bord à l'autre quand il n'y a à enjamber que la  honte…Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… Ma foi,  vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions de zinc ou de chemin  de fer, gagnons de l'argent ; c'est ignoble, mais c'est excellent ; un  scrupule en moins, un louis de plus ; vendons toute notre âme à ce taux ! On  court, on se rue, on fait antichambre, on boit toute honte…une foule de  dévouements intrépides assiègent l'Elysée et se groupent autour de l'homme…  C'est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le  pauvre prince d'industrie.

 
Et la liberté de la presse dans tout ça  ?

Victor Hugo (pouffant de rire) :  Et la liberté de la presse ! Qu'en dire ? N'est-il pas dérisoire seulement de  prononcer ce mot ? Cette presse libre, honneur de l'esprit français, clarté de  tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la  nation, où est-elle ?



Entretien accordé par Victor Hugo… La personne dont il parle est… Napoléon III… Vous pensiez à quelqu'un d'autre  ?

 
 
Toutes  les réponses de Victor Hugo proviennent de son ouvrage "Napoléon le  Petit", le pamphlet républicain contre Napoléon III. 

Pour lire l’édition numérisée par Google de cet ouvrage :

http://books.google.fr/books?id=6LfAiAixIb0C&printsec=titlepage&source
=gbs_summary_r#PPA35,M1

le 17 mars 2008


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :